L’interview de Florian Flettly
Vous êtes lauréat du 1er prix jeune chercheur du Jane Goodall Institute France, pouvez-vous vous présenter en quelques phrases ?
Je m’appelle Florian Kletty, je suis docteur en biologie depuis la fin de l’année dernière. Entre mon master et ma thèse, j’ai consacré 2 années à faire le lien entre la recherche et la conservation car cela faisait longtemps que je m’intéressais à la biodiversité et à la biologie. J’ai grandi dans un environnement très naturel, en montagne, un environnement un peu préservé où mon père était agriculteur. C’est pourquoi dès mon master, j’ai travaillé sur des thématiques liées à l’agriculture et au lien entre l’Homme et la biodiversité. Grâce à mon master et à ma thèse, j’ai pu travailler sur des thématiques qui me passionnent.
Pouvez-vous nous présenter le projet que vous portez ? Ses enjeux…
J’ai réalisé ma thèse au sein de l’Institut Hubert Curien, un institut universitaire du CNRS à Strasbourg. Une équipe travaillait déjà sur le modèle du grand hamster, une espèce de rongeurs menacée notamment en Alsace. Leurs thématiques abordaient la question de l’amélioration des conditions de vie de cette espèce qui évolue dans les milieux agricoles. Mon sujet de thèse s’est dans un premier temps concentré sur le comportement alimentaire du grand hamster, sa nutrition. L’objectif principal était, par la suite, de trouver des moyens d’améliorer les pratiques agricoles pour protéger le grand hamster d’une part mais aussi l’ensemble de la biodiversité.
Votre sujet de thèse vous a donc permis de travailler à une coopération entre le monde agricole et le monde scientifique ?
En réalité, il existe dans le monde et ce depuis des années, des mouvements agricoles qui travaillent à la protection des sols dans le but de préserver les cultures et donc l’outil de production des agriculteurs. Quand on s’y intéresse de plus près, on se rend compte que les outils développés dans cette optique sont les mêmes que ceux qu’il faudrait développer pour œuvrer à la protection de la biodiversité et particulièrement des espèces présentes dans le milieu agricole. L’objectif à travers ces outils est d’aider les agriculteurs à ne pas considérer les milieux agricoles et leurs écosystèmes comme des outils inertes de production mais comme un ensemble vivant. Mon sujet de thèse était donc complémentaire en apportant la thématique de la conservation et avait pour objectif de contribuer aux études réalisées à grande échelle à travers divers partenariats sur la préservation de notre environnement.
Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur ce sujet et qu’est ce qui vous a attiré à son propos ?
En partie de part le métier de mon père, je me suis intéressé très tôt à divers sujets comme les grands prédateurs et plus globalement le lien entre l’Homme, la faune ou son environnement. Cela m’a amené à étudier les notions de productions alimentaires ou de permaculture. Quand j’ai découvert les thématiques autour du sujet du grand hamster, je me suis dit que j’avais trouvé le sujet qui faisait le lien entre ces divers centres d’intérêt et que les perspectives étaient multiples. Les milieux agricoles sont actuellement des milieux très pauvres en biodiversité et nous pouvons agir pour que cela change, le potentiel de restauration de la biodiversité est énorme.
Qu’est ce qui vous a donné envie de vous tourner vers la recherche ?
Je me suis tourné vers la recherche au fil des ans car j’ai toujours eu la chance au cours de mes études de travailler sur des thématiques qui m’intéressaient. J’ai pu suivre les études qui m’intéressaient, travailler sur les sujets les plus passionnants à mon sens et puis monter ce sujet de thèse. C’est au final en suivant mes centres d’intérêts que j’en suis arrivé à faire de la recherche. Le stage de deuxième année de Master m‘a permis de me rendre compte de ce qu’était vraiment le métier de chercheur. Par la suite, j’ai réalisé un service civique au sein de l’OFB-ONCFS et cela m’a donné envie de continuer à suivre la démarche qui y est développée et que je trouve pertinente. Bien que je continue à m’impliquer au sein de ces associations, cela ne me semblait pas suffisant et j’avais envie d’aller plus loin. Nous manquons beaucoup de liens dans notre société et en particulier entre la recherche, le monde académique et le monde associatif. C’est pourtant nécessaire car la collaboration est essentielle
En trois mots, comment décririez-vous le rôle de la science dans notre société ?
Dans un premier temps, je dirai, futur. La Science est importante pour réussir à obtenir des clefs pour notre futur et pour créer un ensemble favorable.
Un point un peu plus négatif ensuite mais le mot distance pour être employé également. Actuellement, il n’y a pas assez de liens. Il y a énormément de recherches scientifiques, de connaissances que l’on n’applique pas.
Enfin, lien, est le dernier terme. C’est ce qu’il reste à développer entre la science et la société.
En quoi pensez-vous que la relation homme-animal représente un enjeu majeur dans notre société ?
Ce qui me vient en premier, car c’est ce que j’ai développé au cours de mon étude, c’est le lien avec l’agriculture. On a une relation agricole à l’animal qui est un peu compliquée. Les animaux en agriculture font majoritairement partie de notre alimentation. C’est un sujet qui fait de plus en plus débat, en particulier lorsque l’on parle d’agriculture industrielle. Il est donc extrêmement important d’améliorer le lien Homme-animal pour tendre vers une agriculture qui n’est pas destructrice, qui prend en compte l’ensemble de son environnement et les êtres qui l’habitent. Que ce soit les animaux d’élevage ou non… Le consommateur bien qu’il entende parler de condition animale, de biodiversité et d’éthique, ne se rend pas assez compte de ce qu’il y a derrière le produit qu’il achète. Nous n’avons que peu de prise de conscience, on se fixe sur le prix, les informations ne sont pas disponibles, nous n’avons pas forcément envie de nous informer et cette distance que nous avons vis à vis de la production animale, et agricole de manière générale, demande de grandes améliorations pour pouvoir enfin faire un choix objectif.
Quels sont, actuellement, vos plus grands défis professionnels ?
A court terme, je suis en attente d’un contrat pour continuer à mener mes recherches et j’envisage aussi un post-doctorat. Sur du plus long terme, il s’agit de réussir à mettre en place quelque chose qui permette de développer une meilleure agriculture, d’aider les agriculteurs à une meilleure prise en compte de la biodiversité.
Depuis enfant, on me dit que la voie que j’ai choisie n’est pas facile mais je ne me suis jamais trop posé de questions, j’ai avancé et tout s’est bien passé donc je souhaite continuer dans cette voie, avec cette dynamique pour faire ce qui me plait et ce qui me tient à cœur.
Que représente ce prix jeune chercheur pour vous ?
Je suis reconnaissant au Jane Goodall Institute France de m’avoir décerné un prix, j’espérais que ma thématique pouvait intéresser. C’est une belle reconnaissance et c’est reconnaître l’intérêt que je porte à ces sujets, à la façon dont je les ai abordés pour tenter de mettre en avant le côté pluridisciplinaire. Cela encourage à continuer. Je suis ravi d’avoir reçu ce prix et de pouvoir faire connaître, partager, mettre en avant ces questions qui me tiennent à cœur.
Quel lien pouvez vous faire avec les sujets portés par le Jane Goodall Institute France ?
Que ce soit mes études ou bien les projets du Jane Goodall Institute, ce qui est particulièrement marquant c’est le lien avec la société. Les pressions sur les primates sont quelque peu différentes de celles que j’ai étudiées à propos du grand hamster mais il est toujours question de communautés et de leur impact. Il s’agit d’essayer de prendre en compte aussi bien les besoins des communautés que ceux des animaux et de trouver un moyen pour que leurs intérêts et leurs besoins se rejoignent.
Que représentent jane et ses actions pour vous ?
Pour moi, Jane est un modèle. C’est un modèle de personne qui, il y a de nombreuses années, a déjà osé se mobiliser pour les questions de la préservation et de la biodiversité. Aujourd’hui, nous avons la chance d’être davantage compris, ces questions sont beaucoup plus dans l’air du temps. Jane encourage à persévérer.
Quels conseils pourriez-vous donner aux prochaines générations qui souhaiteraient se tourner vers la recherche ?
Il faut surtout faire ce qui les intéresse, ce qui leur tient à cœur. Il est important de pouvoir développer des sujets qui ont un intérêt humain et sociétal, c’est valorisant, cela donne du sens à ce que l’on fait. Et puis, il ne faut pas rester derrière un écran, il faut découvrir les choses en vrai, cela forme les connaissances et l’intérêt que nous portons à notre environnement. Cela nous porte aussi à protéger la nature et cela ne peut s’acquérir qu’au contact de l’environnement. C’est d’autant plus important compte tenu de la période que nous vivons. Il faut favoriser cette connaissance car d’un point de vue personnel cela m’a beaucoup aidé et je pense que cela peut fonctionner avec tout le monde.
Propos recueillis par Marie Le Brazidec