Mélodie Miller est une auteure de romans feel good et de romans à suspense. Ses livres entraînent les lecteurs dans un voyage où les histoires sont à la fois chaleureuses et intrigantes. Son écriture fluide et lumineuse a conquis le cœur de plus de 50 000 lectrices non seulement en France, mais aussi à l’international.
Mélodie Miller (Valérie Pierson, dans la vraie vie) est aussi une femme très engagée. L’urgence écologique et sociale est au cœur de son implication dans de nombreuses associations dont le Jane Goodall Institute France dont elle est un pilier. Elle œuvre, entre autres, à sensibiliser, les jeunes (et les jeunes femmes en particulier) au rôle important qu’elles peuvent avoir dans notre société et les accompagner à agir pour un monde meilleur.

Elle connait le Dr. Jane Goodall depuis plus de cinq années. Et de cette rencontre est née l’idée de ce texte, hommage à la vie et l’œuvre de Jane, sa vie, son héroïsme.
Plaidoyer pour l’action des femmes. Partout. Maintenant.
Vous pourrez retrouver ce texte dans un recueil qui rassemble huit voix uniques d’autrices qui, à travers des récits empreints de force et de poésie, rendent hommage aux femmes qui ont bouleversé les préjugés pour écrire une nouvelle page de l’Histoire. Des héroïnes, anonymes ou célèbres, qui ont osé se dresser face aux obstacles, faisant vaciller l’ordre établi pour tracer la voie des générations futures. Des récits bouleversants et inspirants, où la vulnérabilité devient une arme, et les épreuves, une source de puissance. Des femmes ont changé le monde. Dont il est temps de raconter leurs histoires.

8 nouvelles engagées écrites par 8 autrices indépendantes : Amandine Bazin-Jama, Louise Calicot, Laure Enza, Nathalie Heldé, Laure Iniz, Mélodie Miller, Clara Renard et Justine Saine.
Retrouvez ces nouvelles bouleversantes et émouvantes : Le manuscrit oublié, Colette, Libre comme l’air, L’effet Matilda, Au-delà du regard, Mamange, Elle s’appelait Henrietta … et bien sûr Jane Goodall.
Un ouvrage coordonné par Justine Saine.
Le Jane Goodall Institute France est très reconnaissant à toutes ces femmes, d’avoir proposé que l’ensemble des bénéfices soient reversés au Jane Goodall Institute France.
Merci à ces 8 femmes formidables, nos héroïnes à nous !
Et un immense merci à Mélodie Miller, pour tout ce qu’elle offre au Jane Goodall Institute France, jour après jour.
Pour découvrir le recueil de nouvelles, se l’offrir ou l’offrir à une femme merveilleuse ou un homme qui soutient ces femmes merveilleuses, c’est ici :
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Date de parution : 8 mars 2025
Genre : recueil de nouvelles engagées
Nombre de pages : 251
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Jane Goodall
La femme qui a changé la définition de l’Homme
de Mélodie Miller
Lorsque Jane Goodall plonge son regard dans le vôtre et qu’en silence, elle prolonge ce moment, c’est un pan de votre âme qu’elle touche au plus profond, un bout de son histoire qu’elle transmet. Comment expliquer autrement qu’elle m’ait tant émue ce soir d’hiver, lors d’une séance photo, pendant sa tournée française ? Au point que j’ai souhaité raconter son histoire. Celle d’une femme extraordinaire, infatigable défenseuse des chimpanzés, de leur habitat et de nous, les humains, animaux comme les autres. Docteur en éthologie, messagère de la Paix auprès des Nations Unies, icône environnementale récompensée par plus de 150 prix ou distinctions honorifiques, fondatrice du Jane Goodall Institute présent dans plus de 25 pays pour préserver la biodiversité, Jane est une femme, une mère, une activiste et une formidable conteuse.
« C’est en racontant des histoires qu’on touche le cœur des gens », dit-elle.
Alors, laissez-moi vous conter la sienne car, mon cœur, elle l’a touché de plein fouet.
Jane n’a pas toujours eu 90 ans… Valerie Jane Morris-Goodall naît le 3 avril 1934, à Londres. C’est l’année de la mort de Marie Curie. Faut-il y voir un signe du destin ? Le passage de relais d’une femme passionnée à une autre ? Première enfant de Mortimer Herbert Morris-Goodall, ingénieur en téléphonie et Vanne Morris-Goodall, secrétaire puis auteure, sa première maison se trouve à Chelsea, dans la banlieue londonienne. Elle y grandit entourée de peluches, en particulier Jubilee, sa préférée, un chimpanzé. En 1939, la famille Morris-Goodall déménage quelques mois en France, au Touquet. Devenu pilote de course professionnel pour Aston Martin, son père se rapproche ainsi des circuits automobiles européens. Jane et sa sœur cadette, Judith, y apprennent le français. Mais, bientôt, c’est la Seconde Guerre mondiale. Le père est enrôlé, Vanne, Jane et Judith s’installent dans la maison des grands-parents, en Angleterre, à Bournemouth.
Petite fille intrépide et curieuse, c’est là qu’elle va s’épanouir, dans la nature, entourée d’animaux, des chiens, des escargots, un lézard, des cochons d’Inde, un hamster, un canari et des poules. Elle passe tout son temps avec eux, déjà elle les observe. D’ailleurs, elle raconte que, curieuse de comprendre d’où viennent les œufs, elle se serait cachée dans un poulailler. Elle lit des romans d’aventure, des histoires dans lesquelles on parle aux animaux. Elle adore celles du Docteur Doolittle, du Livre de la Jungle et de Tarzan. Elle grimpe aux arbres, pieds nus, entraînant avec elle Jubilee et son fidèle compagnon, le chien Rusty. Jane, c’est elle, la petite fille qui rêve d’aventure, de grands espaces et d’Afrique, pas l’autre, pas celle des bandes dessinées. « Tarzan s’est trompé de Jane » plaisante-t-elle souvent. Éprise de nature et de liberté, la discipline scolaire, lui pèse. Enthousiaste, elle crée à 12 ans, l’Alligator Club et son magazine, avec sa sœur et deux amies.
En 1950, Jane a 16 ans et un père trop souvent absent, ses parents divorcent. C’est, entourée des femmes de sa famille, Vanne, sa mère adorée, et Judith, sa sœur, qu’elle traverse l’adolescence. Sa famille n’a pas les moyens de l’envoyer à l’université, mais sa mère l’encourage à trouver sa voie et ne pas lâcher ses rêves.
« Jane, si tu veux vraiment quelque chose, si tu travailles dur, si tu saisis chaque opportunité et que tu n’abandonnes pas, alors, d’une façon ou d’une autre, tu y arriveras », lui dit-elle.
Alors, la jeune femme travaille dur, pendant un an, comme serveuse. Elle économise pour réaliser son rêve, partir en Afrique.
Un jour d’avril 1957, Jane embarque seule à bord du bateau qui la conduit sur le continent africain. Elle a 23 ans, il lui faudra plus de 20 jours pour rejoindre une amie d’enfance qui l’a invitée au Kenya. C’est là que Jane rencontre le reconnu anthropologue et paléontologue, Dr Louis S.B. Leakey. Il effectue à cette époque des fouilles dans la Corne de l’Afrique et lui propose de devenir son assistante. Après avoir étudié les fossiles en Tanzanie avec Mary, la femme du Dr Leakey, le duo commence à s’intéresser aux chimpanzés sauvages, près du lac Tanganyika. Persuadé que les animaux peuvent encore être à l’origine de nombreuses découvertes, le Dr Leakey décide de mener une étude de terrain. Pour ce faire, il réunit une équipe. Convaincu que les femmes ont plus de patience, il va recruter et missionner les trois femmes emblématiques de la recherche sur les grands singes. Dans son équipe de formidables exploratrices-observatrices, elles seront trois, trois « Drôles de dames » sans expérience, ni formation, mais dotées d’une sensibilité et d’une patience hors du commun : Jane Goodall aux chimpanzés, Dian Fossey aux gorilles et Biruté Galdikas aux orangs-outans.
Le 4 juillet 1960, en compagnie de sa mère, chaperon obligatoire pour les autorités britanniques, Jane arrive dans la réserve de Gombe, en Tanganyika, aujourd’hui nommé la Tanzanie. Situé à l’ouest, au bord du lac Tanganyika, près de la frontière du Burundi, Gombe est l’un des plus petits parcs du pays. Sauvage, il comprend 52 km² de collines boisées et de vallées escarpées, entrecoupées de ruisseaux qui plongent vers les rives préservées du lac. Ses forêts tropicales montagneuses abritent une centaine de chimpanzés, des babouins olive, des cochons, des hippopotames et des léopards, ainsi que près de 200 espèces d’oiseaux et 250 types de papillons. Jane va y réaliser ce qui va s’avérer être « la plus longue étude de terrain des animaux sauvages dans leur environnement naturel. »
Jane a 26 ans, c’est encore une toute jeune femme, mince, élancée, et pourtant, elle passe ses journées seule, dans une forêt dense, humide, au milieu des serpents et des moustiques pour étudier le comportement des chimpanzés. Ce ne sont pas d’inoffensives peluches, loin de là. Le chimpanzé adulte peut peser près de 80 kg et se montrer agressif. Jane raconte que, des jours entiers de l’aube au crépuscule, elle attendra, jumelles en main. « Au début j’étais venue pour les observer et tout ce que je voyais c’étaient leurs fesses », car ils partaient en courant. Elle use de patience, il lui faudra plus d’un an pour qu’elle puisse seulement assister à un repas. Au début, elle ne peut s’approcher qu’à cinq-cents mètres. Au bout d’un an, seuls trente mètres la séparent des familles de grands singes. Encore une année supplémentaire et Jane, patiente et déterminée, est enfin acceptée et peut créer un contact.
Chaque matin, elle se lève à 5 h 30 pour partir en forêt. Puis vient le moment du « banana club », ce rituel de confiance qu’elle a créé et qui consiste à distribuer, toujours à la même heure, une banane à chaque chimpanzé. La journée se déroule souvent, dissimulée dans les feuillages, à imiter le comportement des primates, ou encore à manger leur propre nourriture. De son enfance, Jane a gardé le goût de la solitude et de grimper aux arbres pour observer et dessiner les animaux du jardin. En Tanzanie, elle y reste des heures entières, en short, souvent pieds nus, munie de ses seules jumelles et d’un carnet de notes.
Le soir, elle rentre au campement rudimentaire, une simple tente en toile. Elle y consigne ses observations dans un journal détaillé. Elle commence à reconnaître certains chimpanzés. Elle nomme l’un d’entre eux David Greybeard, à cause de sa longue barbe grise. Souvent, celui-ci s’approche de sa tente pour manger des noix, et quand il la croise dans la forêt, il vient vérifier si une banane n’est pas cachée dans sa poche. Jane note leurs habitudes, leur façon d’être. « Tout comme mon chien était entré dans ma vie pour m’apprendre combien les animaux sont extraordinaires, David Greybeard est entré dans ma vie le jour où il n’a plus eu peur, invitant le reste de la communauté à me faire confiance. » C’est ainsi que Flo, Fifi, Goliath et Gremlin trouvent le chemin vers Jane.
Assise aux côtés de ses nouveaux compagnons, elle dessine leur visage, leurs grimaces, leur façon de transmettre leurs émotions. Les animaux sont-ils doués de sentiments ?
« Bien sûr, et quiconque a eu un chien, saura de quoi je parle », a-t-elle coutume de dire aujourd’hui.
Elle s’entraîne à reproduire leurs cris ; à force, elle parvient même à en comprendre la signification. Leurs vocalisations ainsi que leur posture ou leurs expressions faciales transmettent en effet une grande variété d’états émotionnels : salutation, joie, peur ou colère. À l’inverse des spécialistes, Jane n’a pas de diplôme. Elle écoute son intuition et sa connaissance empirique des animaux. En ce sens, la jeune femme est déjà pionnière. Elle ne considère pas les chimpanzés comme des « animaux de laboratoire », mais comme des êtres vivants, dotés d’une conscience. Plus tard, à l’université de Cambridge, les scientifiques chevronnés critiqueront son approche peu conventionnelle. Souvent, raconte-t-elle « Quand je suis entrée à l’Université de Cambridge, on m’a dit qu’on ne pouvait pas être un bon scientifique et avoir de l’empathie pour ses sujets. Heureusement, j’ai eu un professeur merveilleux, mon chien, qui m’a enseigné que ces scientifiques avaient tout faux. »
Mais pour l’heure, nous sommes en octobre 1960 et Jane se trouve dans la réserve de Gombe, assise sur un talus, à l’abri d’un arbre. La forêt est encore dense, intacte et pleine de vie. Elle n’est jamais silencieuse. La jeune femme se sent bien, apaisée, dans son élément. Des années plus tard, elle écrira « Je crois absolument en un pouvoir spirituel plus grand, bien plus grand que moi, dont j’ai tiré de la force dans les moments de tristesse ou de peur. C’est ce que je crois, et c’était très, très fort dans la forêt. »
Tout l’enchante et lui donne la patience de continuer sa longue étude. Elle entend le souffle du vent dans les branchages et les chants des oiseaux. Elle perçoit un peu plus loin les cris des grands singes qui se déplacent en groupe dans les arbres. C’est la fin de la saison sèche, dans quelques semaines, les pluies débuteront. Pour l’instant, le temps est encore ensoleillé et les précipitations faibles. En revanche, les matinées sont fraîches. Ce matin, Jane s’est levée encore plus tôt que d’habitude, à cinq heures pour rejoindre son poste d’observation. Comme tous les jours, elle porte son short beige et sa chemise en toile kaki. Elle a passé un pull en laine bleu ciel par-dessus, souvenir de son Angleterre natale. Svelte, à l’allure sportive, Jane a noué ses longs cheveux blonds en queue de cheval dans le cou, comme elle le fera toute sa vie. Elle a déjà ce regard clair intense, curieux, profondément tourné vers l’autre. Elle est assise et elle attend. Elle attend parfois toute la journée. « C’est à ici que j’appartiens. C’est pour cela que je suis venue au monde », écrira-t-elle.
Ce jour-là, elle fait une découverte qui va révolutionner notre rapport aux animaux et bouleverser sa vie. La laissant l’observer, David Greybeard, le moins craintif de ses nouveaux compagnons, lui offre un spectacle fascinant. Elle ne le sait pas encore, mais ce moment restera gravé dans sa mémoire à jamais. Dissimulée derrière un arbre, l’œil rivé sur ses jumelles, Jane tente de noter chacun de ses gestes. Il est un peu plus de 6 heures du matin, le chimpanzé à la barbe grise s’approche d’un pas décidé, puis s’accroupit sur le sol couvert de feuilles séchées. Depuis quelque temps, sa peur a disparu, il vient de plus en plus près. De la main droite, David choisit une brindille fine et solide d’un arbre proche. Comme tous les chimpanzés, afin de se déplacer plus facilement dans les arbres, son pouce est beaucoup plus court que ses autres doigts. Jane l’a déjà dessiné dans ses carnets de croquis. Intriguée, elle l’observe avec curiosité tandis qu’il accomplit des mouvements qui semblent familiers.
David Greybeard est appliqué, le front penché en avant. D’un geste précis, il enlève les feuilles pour en faire une tige, la coupe à la bonne taille, l’enfonce avec précaution dans une termitière et l’en ressort, couverte de termites. Les insectes sont accrochés à la branche. Le chimpanzé patriarche passe alors sa langue le long de la brindille et en gobe chaque termite. Il s’en nourrit, un peu comme nous avec une fourchette. De façon tout à fait inopinée, David vient de permettre à Jane d’assister à la « pêche » aux termites. Fascinée par le spectacle, la jeune femme ne bouge plus. Ses membres sont engourdis après cette longue attente, elle ne les sent pas, elle est tout entière concentrée sur ce moment exceptionnel. Elle réajuste ses jumelles, retient sa respiration et le voit replonger la tige dans le trou de termites. Les sourcils de la jeune femme se lèvent, sa bouche s’étire en un sourire admiratif. David Greybeard est donc capable de concevoir un outil et de s’en servir à des fins pratiques ! Pour le chimpanzé, cela n’a rien d’étonnant, il répète ce geste plusieurs fois par jour. Pour Jane et le reste du monde, c’est une révolution.
Mais pourquoi donc ?
La raison en est simple. Jusqu’à cette époque, on pensait que cette faculté de créer et utiliser des outils était réservée aux humains. Le Dr Louis Leakey expliquera d’ailleurs, au sujet de cette découverte : « Maintenant, nous devons redéfinir la notion d’homme, la notion d’outil, ou alors accepter le chimpanzé comme humain. » Lors de ces différentes observations dans la forêt africaine, Jane va ainsi découvrir que non seulement, les chimpanzés savent concevoir et manier des outils, mais qu’ils sont aussi capables de construire des liens stables en famille. Elle observera qu’il existe dans une tribu un système social, voire des rituels. Et que, tout comme nous, chaque chimpanzé est doté d’une personnalité propre. Ainsi, David Greybeard, le chimpanzé à la barbe grise est le plus audacieux. Flo, la matriarche, facilement reconnaissable à son nez en patate est joviale et volontiers rieuse. Sa fille, la malicieuse Fifi, est joueuse, vive et curieuse. « Quand vous rencontrez des chimpanzés, vous rencontrez des personnalités individuelles. Quand un bébé chimpanzé te regarde, c’est comme un bébé humain. Nous avons une responsabilité envers eux », confiera-t-elle, ensuite.
Nous avons plus de points en commun avec les chimpanzés que ce que nous imaginions. Jane démontre même la présence d’un langage, certes primitif, mais avec plus de vingt sons. « L’étude sur les chimpanzés nous a appris plus que tout autre chose à être un peu humbles ; que nous sommes, en effet, des primates uniques, nous les humains, mais que nous ne sommes tout simplement pas aussi différents du reste du règne animal que nous le pensions auparavant », écrira-t-elle. Nous, humains, sommes capables du pire comme du meilleur, mais ces primates aussi : Jane a été le témoin d’une guerre entre deux clans qui s’est terminée lorsque le dernier membre de l’un des clans est mort. Mais elle a aussi observé des moments de réconfort et de compassion.
Jane consigne toutes ses observations dans son journal de bord et en informe régulièrement le Dr Leakey. Ensemble, ils comprennent que ces nombreuses découvertes vont bouleverser notre rapport au monde animal et humain. Le Dr Leakey presse alors Jane de rentrer en Angleterre pour suivre des études formelles à l’université de Cambridge. À contrecœur, Jane plie bagage, quitte sa chère forêt, ses nouveaux compagnons et reprend le chemin de l’Angleterre. À peine arrivée, elle raconte ce qu’elle a vu et devient en quelques semaines la figure du moment. On parle d’elle dans la presse. « Jane Goodall, la femme qui a changé la définition de l’Homme », titrent les journaux.
Mais lorsqu’elle rejoint les bancs de l’université, très vite, d’éminents scientifiques, en blouse blanche la semaine et costume en tweed le week-end, lui expliquent sans délicatesse qu’elle a « tout faux ». À l’époque, le terme manbashingn’existait pas encore. Mais si quelqu’un avait dû l’inventer plus tôt, c’est malheureusement Jane qui en aurait eu le privilège. On lui prête tous les maux. « Vos travaux ne valent rien, vous n’avez pas suivi le protocole classique ! » « Mais enfin, comment avez-vous pu nommer des chimpanzés ? Les animaux observés ne se nomment pas, on leur donne un numéro et c’est tout ! », « Comment ça, ils ont des sentiments ? Mais enfin ma pauvre enfant, vous délirez, on voit bien que vous n’avez pas fait d’études scientifiques ! »
Mais Jane est bélier, du 3 avril, un tempérament volontaire, déterminé. Elle a grandi, au milieu de femmes fortes, pas question de se laisser démonter par cette bande d’hommes, soi-disant supérieurs. Elle encaisse, elle apprend et en 1965, elle sort de l’université, doctorat d’éthologie en poche. C’est l’une des rares candidates à avoir été acceptée sans avoir de diplôme.
Rester en Angleterre, pour pérorer ? Très peu pour elle ! Rapidement, avec la collaboration et le soutien financier du National Geographic, le Dr Jane Goodall repart en Afrique. En survolant la réserve de Gombe, elle réalise à quel point la nature a changé. La forêt encore luxuriante, quelques années plus tôt, s’est raréfiée. Des centaines d’arbres ont été coupés, c’est le début de la déforestation. Très vite, elle réalise que les chimpanzés sont en danger. Et que pour les protéger, il va falloir inventer un système inédit. Inédit et holistique. Car nous ne sommes qu’un tout. « Si nous tuons la nature, alors nous tuons une partie de notre âme. » Pour protéger les chimpanzés, il faut protéger leur habitat. Et pour cela, il faut y associer la communauté d’humains proche. Hommes, autres animaux, environnement, « tout est lié », elle est la première à le dire, à en développer une approche systémique et à la mettre en action.
En 1965, en Tanzanie, la toute jeune primatologue fonde le Gombe Stream Research, afin de poursuivre les recherches sur les chimpanzés sauvages. Plus de 50 ans après sa création, ce centre, financé à ses débuts par la National Geographic Society, a décroché le titre — reconnu par le Guinness World Records — de plus longue étude de terrain menée sur les chimpanzés en milieu naturel. Ce centre a aussi vu naître le 4 mars 1967, Hugo Eric Louis van Lawick, surnommé Grub, le fils de Jane et Hugo van Lawick décédé en 2002.
Papa de Merlin, Angel et Nick van Lawick, Grub vit toujours en Tanzanie où il construit des bateaux. Merlin, le fils aîné, est très engagé aux côtés de sa grand-mère, Jane.
« Elle représente l’espoir pour le futur de notre planète », admire-t-il.
Mais nous n’en sommes pas encore là, pour l’instant, nous sommes en 1977. C’est la date de création du Jane Goodall Institute dont la mission est de protéger les animaux sauvages, préserver leur habitat et aider au développement des populations locales. C’est la première, à l’époque, à intégrer ainsi ces trois dimensions, animaux, humains, nature, dans la démarche de conservation. Et à mettre les communautés locales au cœur de ce travail de conservation. Créer un vivre-ensemble apaisé entre les hommes, les autres animaux et la nature, c’est l’objectif du Jane Goodall Institute qui se décline aujourd’hui dans plus de 25 pays. Son action depuis toujours est liée à la biodiversité. Récemment, le Dr Jane Goodall déclarait :
« J’essaie de faire comprendre aux gens à quel point la vie humaine est inextricablement liée au monde de la nature. Notre alimentation, l’air que nous respirons, les vêtements que nous portons — tout en dépend ! Seulement, pour pourvoir à nos besoins, les écosystèmes doivent être sains. Les longues heures que j’ai passées dans la forêt vierge de Gombe m’ont appris que chaque espèce a son rôle à jouer, que tout est interconnecté. Une espèce qui disparaît, c’est un trou dans la tapisserie du vivant. Chaque nouveau trou affaiblit l’écosystème. »
Aujourd’hui, l’institut Jane Goodall, c’est 34 bureaux dans le monde, un budget de 35 millions de dollars, 600 collaborateurs et plus de 10 000 bénévoles. L’Institut intervient dans 14 pays d’Afrique : Tanzanie, Congo, Sénégal, Burundi, Ouganda, Afrique du Sud, Guinée, Madagascar, Mali… etc. L’Institut a créé 3 sanctuaires : Tchimpounga, au Congo ; Chimp Eden, en Afrique du Sud et l’île Ngamba, en Ouganda. Et une réserve ouverte, à Dindéfello, au Sénégal.
L’Institut innove par son utilisation des nouvelles technologies. En effet, l’une des grandes difficultés est la collecte d’informations à jour sur les populations de chimpanzés et sur les menaces pesant sur les animaux dans les régions boisées et éloignées.
Par ailleurs, l’Institut, au travers de son pôle plaidoyer influence les législateurs. De par ses excellentes relations avec l’ONU et les grandes entreprises, il intervient en tant que facilitateur.
Enfin, avec le programme Roots & Shoots, l’Institut sensibilise les jeunes au monde naturel. C’est en 1991, avec 12 adolescents tanzaniens, que le Dr Jane Goodall crée Roots & Shoots (les racines et les bourgeons). « J’ai des raisons d’espérer », dit-elle, « grâce à notre intelligence, la résilience de la nature, l’esprit humain indomptable et surtout l’engagement des jeunes lorsqu’ils ont les moyens d’agir. » Roots & Shoots est un programme d’éducation à l’environnement pour et par les jeunes dont la mission est d’améliorer la vie de sa communauté proche : les humains, les autres animaux, et la nature. Les jeunes s’engagent en groupe, ils participent à différentes campagnes (la paix, le recyclage, la gestion des déchets, les forêts, les océans, l’alimentation…), ils agissent, ils sensibilisent, ils ont également la possibilité de monter des projets autonomes. C’est un programme unique au monde, qui rassemble plus d’un million de jeunes chaque année, dans plus de 65 pays. Ce programme est positif et tourné vers l’avenir. Le Dr Goodall dit souvent que « chacune de nos actions compte, qu’on a tous, la possibilité d’agir ». Roots & Shoots en est un exemple remarquable.
Icône de l’environnement, le Dr Jane Goodall est aussi une icône de la bienveillance. D’une extraordinaire volonté, elle est dotée d’une formidable empathie. En 2002, elle est nommée messagère de la paix aux Nations Unies. Elle a reçu depuis de très nombreux prix et distinctions : marraine du programme Man and the Biosphere pour les 60 ans de l’Unesco, remise de la Légion d’honneur…
Le Dr Jane Goodall vient de fêter ses 90 ans. Infatigable défenseuse de l’environnement, elle porte un message d’espoir à travers le monde et nous invite à réfléchir à nos engagements. Peu de femmes dans le monde ont pu exercer une telle influence avec autant de compassion et de courage. Agir est une urgence : les mammifères sauvages ne représentent plus aujourd’hui que 5 % de la biomasse des mammifères terrestres, les humains et leurs animaux domestiques constituent les 95 % restants. L’empreinte humaine sur l’ensemble de la planète devient critique, notamment avec 75 % des écosystèmes terrestres et plus de 65 % des écosystèmes marins modifiés par les activités humaines.
« Chaque fois que nous achetons des aliments, chaque fois que nous consommons un repas au restaurant, ce sont nos choix — ce que nous achetons — qui feront la différence, et pas seulement pour notre santé et la tranquillité de notre esprit, mais aussi pour l’avenir de la planète. Chaque geste compte, à nous de décider quel impact nous souhaitons avoir. Chacun de nous peut faire une différence. Nous ne pouvons pas vivre un seul jour sans influencer le monde qui nous entoure — et nous avons le choix du genre d’influence que nous voulons avoir », répète-t-elle, de par le monde.
Lorsque j’ai rencontré le Dr Jane Goodall, elle m’a chuchoté à l’oreille, ce mantra merveilleux qu’à mon tour, je transmets aux jeunes membres des groupes Roots en Shoots, en France.
« Laissez-vous guider par votre rêve,
Même si vous devez momentanément
Le mettre de côté pour trouver
Un emploi ou payer votre loyer.
Et restez toujours ouvert
Aux opportunités de sortir du cadre
Pour mener la vie et faire les choses
Qui vous inspirent profondément.
N’ayez pas peur ! »
Merci Jane, merci pour tout ce que vous avez accompli, merci pour votre temps, votre énergie, votre vie dédiée à la protection du vivant. Grâce à vous, les animaux, la nature et les jeunes ont une voix qui résonne de plus en plus fort et porte l’espoir au-delà des frontières. Vous avez changé la définition de l’Homme, mais vous avez également, au travers de vos actes, changé la définition de la Femme.
Pour toutes les jeunes filles qui rêvent un jour d’être Jane, pour tous les jeunes garçons qui rêvent de vous ressembler, merci !
Et merci pour ce fabuleux moment que vous avez bien voulu partager avec moi, et pour ce regard qui me porte encore aujourd’hui.