Le monde est confronté aujourd’hui à des défis sans précédent. Au moment où j’écris, le coronavirus COVID-19 a infecté plus de 3 millions de personnes à travers le monde, et au 29 Avril, 218 386 personnes en sont mortes. Actuellement, les personnes dans la plupart des pays sont confinées chez elles (seules ou en famille), elles ont adopté des mesures d’éloignement sanitaire et réduisent au minimum leurs sorties. Certaines entreprises ont totalement fermé, d’autres maintiennent leurs activités en télétravail, et tandis que certaines personnes sont en activité partielle, des milliers d’individus à travers le monde ont perdu leur travail. Le coût économique de tout cela est déjà catastrophique.
Nous suivons les actualités et prions pour que le confinement se termine de pays en pays, après que le pic d’infection et de mortalité soit atteint et que la courbe épidémique baisse graduellement. Ceci s’est déjà produit en Chine, où le coronavirus COVID-19 est apparu, grâce aux mesures strictes prises par le gouvernement chinois. Nous espérons qu’un vaccin sera développé rapidement et que notre vie pourra bientôt redevenir normale. Mais nous ne devons jamais oublier ce que nous avons enduré et ainsi prendre les mesures nécessaires pour empêcher la réapparition future d’une telle pandémie.
Ce qui est tragique, c’est qu’une pandémie de ce genre a depuis longtemps été prédite par les personnes étudiant les zoonoses (ces maladies qui, comme le COVID-19, se transmettent des animaux aux humains). Il est presque certain que cette pandémie a commencé avec ce mode de transmission au sein du marché aux fruits de mer de la ville chinoise de Wuhan, qui vendait aussi des animaux terrestres sauvages comme nourriture.
La transmission de zoonoses dans les marchés
Lorsque les animaux sauvages sont vendus dans de tels marchés, souvent illégalement, ils sont gardés dans des cages étroites, entassés, et sont souvent abattus sur place. Les humains, tant les vendeurs que les consommateurs, peuvent ainsi être contaminés par des matières fécales, de l’urine, du sang et d’autres fluides corporels provenant d’une grande variété d’espèces – dont les civettes, les chauves-souris, les chiens viverrins ou encore les serpents. Cela créé un environnement particulièrement favorable aux virus pour se propager depuis leurs hôtes animaux jusqu’aux humains. Une autre zoonose, le SRAS, est apparu dans un autre marché de faune sauvage, dans la province de Guangdong.
La plupart des marchés humides (marchés d’animaux vivants) en Asie sont semblables aux marchés alimentaires que nous trouvons en Europe et aux Etats-Unis. Il y a des milliers de marchés humides en Asie et à travers le monde au sein desquels des produits frais – légumes, fruits et parfois également de la viande d’animaux d’élevage – sont vendus à prix bas. Et des milliers de personnes y font leurs courses plutôt que dans les grandes surfaces.
Ce n’est pas seulement en Chine que les marchés de faune sauvage ont fourni les conditions idéales pour que les virus et autres pathogènes puissent passer la frontière des espèces et se transférer depuis les animaux jusqu’à nous. Il y a des marchés de ce type dans de nombreux pays asiatiques. Dans les marchés de viande de brousse d’Afrique – où les animaux vivants et morts sont vendus comme nourriture – la chasse, l’abattage et la vente de viande de chimpanzés a mené à deux transmissions depuis les grands singes jusqu’à l’homme, dont la pandémie du VIH/sida. Le virus Ebola est une autre zoonose qui traverse les espèces animales « réservoirs » jusqu’aux grands singes et aux humains dans différentes régions d’Afrique.
Le trafic de vie sauvage et la transmission de maladies
Une autre préoccupation majeure est le trafic d’animaux sauvages et de leurs organes à travers le monde. Malheureusement, ce trafic s’est transformé en un marché très lucratif de plusieurs milliards de dollars, souvent organisé par des cartels criminels. Ce commerce est non seulement très cruel et contribuant indéniablement à l’extinction terrifiante d’espèces, mais il pourrait aussi mener à établir les conditions favorables à l’émergence de zoonoses. Les animaux sauvages ou leurs organes qui sont exportés, souvent illégalement d’un pays à un autre, apportent également leurs virus avec eux.
Le scandaleux trafic de jeunes singes sauvages mais aussi de grands singes, d’oiseaux, de reptiles et d’autres animaux sauvages pour en faire des animaux de compagnie est une autre source d’inquiétude. Une morsure ou griffure d’un animal sauvage ramené à la maison peut mener à des choses bien plus graves qu’une petite infection.
Une fois que le COVID-19 a été reconnu comme une nouvelle zoonose, les autorités chinoises ont imposé une interdiction à la vente et la consommation d’animaux sauvages, fermé le marché de faune sauvage de Wuhan, et banni l’élevage d’animaux sauvages pour la consommation humaine.
Il existe des milliers de petites exploitations à travers l’Asie et d’autres régions du monde où les animaux sauvages sont élevés pour la nourriture, permettant aux personnes dans les zones rurales de gagner leur vie. A moins que des sources alternatives de revenus puissent être trouvées pour ces personnes ainsi qu’à celles qui subviennent à leurs besoins en exploitant la vie sauvage, et à moins que leur gouvernement ne contribue à une transition vers d’autres sources de revenus, il est probable que ces exploitations deviennent clandestines et soient alors encore plus difficiles à réguler.
Néanmoins, quels qu’en soient les problèmes, il est de toute évidence très important que l’interdiction du trafic, de la consommation et de l’élevage d’animaux sauvages pour leur viande soit appliquée et rendue permanente – au nom de la santé humaine et de la prévention d’autres pandémies à l’avenir. Heureusement, la majorité des citoyens de Chine et d’Asie qui ont répondu à un sondage estiment que la vie sauvage ne devrait pas être consommée, ni utilisée pour des soins médicaux ou pour leur fourrure.
Le vide juridique concernant les produits médicaux et la bile d’ours
L’utilisation de certains produits issus d’animaux sauvages pour la médecine traditionnelle est actuellement encore légale en Chine (bien que les cornes de rhinocéros et les os de tigres soient interdits). Et cette utilisation créé un vide juridique qui sera comblé par ceux qui souhaitent perpétuer le trafic d ‘animaux sauvages en danger d’extinction comme les pangolins, les rhinocéros, les tigres et les ours noirs d’Asie, aussi appelés ours à collier à cause de la marque blanche en forme de croissant sur leur poitrine.
D’autres ours asiatiques – comme les ours bruns ou les ours malais – sont également exploités pour leur bile. Et tant que l’élevage d’ours pour leur bile sera légal, et que les produits contenant leur bile soient promus, cela stimulera de la demande pour cette bile.
Il est important de considérer le bien-être des animaux qui sont involontairement responsables de ces zoonoses. Aujourd’hui, nous savons que tous ces animaux que j’ai mentionnés sont des êtres sensibles, connaissant la peur, la douleur et le désespoir. Par ailleurs, beaucoup d’entre eux font preuve d’une remarquable intelligence. Permettre l’utilisation du commerce d’animaux sauvages à des fins médicinales peut mener à un traitement atrocement inhumain de certains de ces êtres sensibles.
Ceci est très certainement le cas, par exemple, pour les ours élevés en Asie pour leur bile. Ils peuvent être maintenus dans des cages extrêmement réduites, sans même la place pour se mettre debout ou se retourner, pendant toute la durée de leur existence qui peut atteindre trente ans. Ces cages minuscules empêchent tout comportement naturel pour ces êtres intelligents et sensibles, qui subissent une vie de peur et de souffrance.
La bile est souvent extraite, une ou même deux fois par jour, en insérant un cathéter, un tuyau ou une seringue dans la vésicule biliaire, une procédure extrêmement intrusive et douloureuse. Les ours souffrent de déshydratation, de famine et d’une variété d’infections et de maladies. Ils développent des cancers du foie (causés par l’extraction de la bile), des tumeurs, ulcères, péritonites, de l’arthrose et d’autres affections encore. Leurs dents sont abîmées voire même perdues à cause de leur rongement continu, désespéré, des barreaux qui les emprisonnent.
Non seulement ce type d’élevage d’ours est extrêmement cruel, mais il présente aussi un risque de santé publique. Les conditions insalubres, les plaies des ours maintenues en permanence ouvertes, et la contamination de la bile avec de la matière fécale, des bactéries, du sang et d’autres fluides corporels, sont toutes des sources importantes d’inquiétude. Enfin, de nombreux ours sont sous traitement continu d’antibiotiques pour les maintenir en vie, ce qui contribue à développer une résistance antibiotique et l’émergence de « superbactéries » résistantes à la plupart des antibiotiques. Ces conditions valent également pour l’élevage d’animaux domestiques dans les élevages industriels. Ces superbactéries ont mené à la mort de nombreux patients d’hôpitaux à travers le monde.
Malheureusement, le Tan Re Qing, un produit qui contient de la bile extraite des ours noirs d’Asie et est supposé être efficace pour soulager les symptômes liés aux infections respiratoires, est parfois recommandé comme traitement pour les patients infectés au COVID-19. Et une telle recommandation continuera d’inciter la pratique de l’exploitation de la bile d’ours.
Pour conclure sur une note d’espoir, le principe actif de la bile d’ours, l’acide ursodésoxycholique ou AUDC, est disponible sous forme synthétique depuis de nombreuses années et à bien moindre coût que la bile extraite cruellement des ours. Malheureusement, de nombreuses personnes considèrent la bile d’ours sauvages comme étant précieuse. La médecine traditionnelle chinoise est de grande valeur, mais, même si la bile d’ours sauvage devait être un remède efficace, elle ne devrait plus être utilisée compte tenu de la cruauté et des risques qui y sont associés – d’autant plus que le produit synthétique possède les mêmes propriétés médicinales. Par ailleurs, un sondage réalisé par Animals Asia en 2011 a indiqué que 87% des Chinois interrogés étaient en faveur de l’interdiction des exploitations de bile d’ours, et que des centaines de pharmacies chinoises s’étaient engagées à ne jamais vendre de produits dérivés de bile d’ours.
Ce serait merveilleux si toutes les exploitations à bile d’ours en Asie pouvaient fermer et que les ours soient relâchés dans les sanctuaires créés en Chine, au Vietnam, en Malaisie et au Laos. Dans ces lieux, ils seraient capables de marcher sur l’herbe, de grimper, de se baigner dans des marres et de profiter du soleil et de la compagnie d’autres ours secourus. Et la baisse de la demande d’écailles de pangolin et de cornes de rhinocéros dans de nombreux pays d’Asie pour leurs propriétés médicinales supposées donnerait à ces animaux dont risque d’extinction actuel est élevé une chance de survivre à l’avenir. Tout comme une interdiction de l’élevage d’animaux à fourrure serait porteuse du même espoir.
Les maladies emanant de l’elevage industriel
Les zoonoses ne proviennent toutefois pas uniquement d’animaux sauvages. Les conditions inhumaines des grands élevages industriels, où un grand nombre d’animaux domestiques sont amassés, ont aussi créé des conditions favorables pour la transmission de virus à l’homme. Les maladies communément appelées « grippe aviaire » ou « grippe porcine » sont le résultat du conditionnement des volailles et des porcs. Et les animaux domestiques sont eux aussi des êtres sensibles qui éprouvent de la peur et de la douleur. Le MERS-CoV provient du contact avec des dromadaires domestiques au Moyen-Orient, et peut-être également de la consommation de produits provenant de chameaux infectés comme du lait ou de la viande insuffisamment cuite.
De nombreuses personnes estiment ainsi que nous sommes arrives a un tournant decisif dans notre relation avec le monde naturel… nous devons éliminer la pauvrete
Les scientifiques nous avertissent que si nous continuons d’ignorer les causes de ces zoonoses, nous pourrions être infectés par des virus qui engendreraient des pandémies – plus bouleversantes encore que le COVID-19. De nombreuses personnes estiment ainsi que nous sommes arrivés à un tournant décisif dans notre relation avec le monde naturel. Nous devons stopper la déforestation et la destruction d’habitats naturels à travers le monde. Nous devons utiliser les alternatives biologiques et respectueuses de l’environnement dont nous disposons et en développer d’autres encore pour nous nourrir et maintenir notre état de santé. Nous devons éliminer la pauvreté pour que les personnes puissent trouver des revenus alternatifs pour vivre, autrement qu’en chassant et tuant les animaux sauvages et en détruisant l’environnement. Nous devons nous assurer que les populations locales, celles-la même qui sont impactées par la santé de l’environnement ou dont la survie en dépend, s’approprient ce rôle et prennent de bonnes décisions dans leur communauté tout en œuvrant pour améliorer leur vie. Enfin, nous devons lier nos cerveaux à nos cœurs et utiliser à bon escient nos connaissances indigènes, notre science et nos technologies innovantes pour prendre des meilleures décisions concernant les personnes, les animaux et notre monde partagé.
Bien que nous tentions de façon justifiée de prioriser nos efforts pour contenir le COVID-19, nous ne devons pas oublier la crise dont les effets à long terme sur la planète et les générations futures sont potentiellement catastrophiques – la crise climatique. Le mouvement appelant l’industrie et les gouvernements afin d’imposer des restrictions sur l’émission de gaz à effets de serre, pour protéger les forêts, et pour nettoyer les océans, ne fait que s’amplifier.
Cette pandémie a contraint les industries à fermer dans de nombreuses régions du monde. En conséquence, de nombreuses personnes ont découvert pour la première fois le plaisir de respirer un air sain et de voir le ciel étoilé la nuit.
Mon espoir est qu’une compréhension de ce que le monde devrait être, accompagné de la prise de conscience que la pandémie actuelle est liée à notre manque de respect pour le monde naturel, encouragera les entreprises et les gouvernements à allouer plus de ressources au développement d’une énergie propre et renouvelable, à l’atténuation de la pauvreté et à aider les personnes à trouver des alternatives pour gagner leur vie sans que cela n’implique d’exploiter la nature ou les animaux.
Faites que nous prenions conscience que nous faisons partie du monde naturel et que nous dépendons de lui pour notre nourriture, notre eau et notre air. Faites que nous reconnaissions que la santé des personnes, les animaux et l’environnement sont connectés. Faites que nous soyons respectueux des autres, mais aussi de tous les animaux sensibles et de la Nature. Dans l’intérêt du bien-être de nos enfants et des leurs, et pour la santé de cette magnifique planète Terre, notre seule demeure.
Dr Jane Goodall, DBE
Fondatrice du Jane Goodall Institute & Messagère de la Paix auprès des Nations-Unies