Alors que je m’informais sur le dentiste du Minnesota, Walter Palmer, qui a tué en juillet dernier le lion Cécil, vedette de la grande réserve de Hwange au Zimbabwe pour sa crinière noire, j’ai découvert par hasard qu’un lion rival a tué un des lionceaux de Cecil.
En effet le frère de Cecil, Jericho, qui avait adopté les lionceaux dans un premier temps, avait fini par les abandonner. Il ne fait aucun doute que les autres lionceaux seront également tués. C’est ce que font les lions quand ils prennent la tête d’un groupe, éliminant par-là les gènes de leur rival.
Il y ainsi une vraie perturbation génétique de l’espèce et de son avenir. Le chasseur cherchera à tuer les lions avec la plus belle crinière, ceux qui sont dans toute leur splendeur, ceux dont les gènes auraient dû perpétuer la magnificence de l’espèce. Malheureusement, on ne connaîtra jamais l’importance qu’auraient pu avoir les lionceaux de Cecil : il a été tué et ça a conduit à leur perte.
Cécil était un symbol
Ce qui est pire encore dans cette sordide histoire est le fait que Cecil ait été illégalement attiré par le chasseur en dehors des zones protégées où il avait établi son territoire. Le triste Walter Palmer, insiste, à tort ou à raison, sur son innocente ignorance. Par ailleurs, afin d’en rajouter encore dans la barbarie, il ne l’a pas tué immédiatement. Cecil a en effet passé 40 heures dans la douleur générée par une grave blessure avant d’être finalement achevé par une balle.
Le comportement de Walter Palmer a été méprisable à tous points de vue.
Mais, la raison pour laquelle il a attiré les foudres et la haine du monde entier, réside dans le fait que Cecil était un animal emblématique, connu et aimé. Il portait un collier émetteur, sans doute invisible dans ses beaux crins épais, et en outre il faisait l’objet d’une étude scientifique.
Par conséquent, on devrait se poser la question suivante: le fait qu’il portait un nom célèbre, qu’il était aimé et faisait l’objet d’une étude scientifique, le rend-il différent des autres lions tués par les chasseurs amateurs ou professionnels? Le rend-il différent de tous ces autres splendides individus dont les têtes décapitées défigurent les salons des gens fortunés sans goûts ni scrupules?
En effet, Walter Palmer n’est pas le seul chasseur à mériter notre mépris et notre colère. Loin de là. Chaque année, au moins 600 de ces « chasseurs de trophées » tuent des lions. Chaque lion a sa personnalité et sa place dans la société léonine, même si nous n’appréhendons pas toujours sa complexité. Evidemment, les lions ne sont pas les seuls animaux à être visés par les chasseurs de trophées. Walter Palmer a tué plusieurs espèces en Afrique et en Amérique du Nord. Ces chasseurs sont persuadés que ce qu’ils font n’est pas moralement condamnable. Après que Walter Palmer eut fait profil bas à la suite du scandale qu’il a provoqué dans le monde entier, Sabrina Corgatelli, autre chasseur, a publié des photos d’elle-même posant fièrement avec les différents animaux qu’elle a tués pendant son safari. Sur la photo la plus choquante, on la voit au-dessus du cadavre d’une girafe mâle. Elle écrit :
« Quel animal magnifique !! Je ne pourrais pas être plus heureuse !! Je n’oublierai jamais mon émotion après l’avoir eu !!! » Au début elle semblait chercher des prétextes justifiants son acte, en disant qu’après tout, les girafes sont très dangereuses et peuvent vous blesser très gravement. Mais plus les courriers haineux défilaient, plus elle devenait vindicative, promettant avec son ami qu’elle mettrait encore davantage de photos similaires en réponse à ses détracteurs. On la voit donc par la suite poser avec des cadavres d’antilopes, d’un lion, d’un léopard et d’un phacochère aux belles défenses. Tout au long des publications, Sabrina Corgatelli défend furieusement son bon droit à poursuivre son hobby….
La chasse au trophée est une pratique barbare
Tant de chasseurs publient avec fierté des photos les montrant avec leurs victimes. Parfois ils défendent leurs actions en prétextant que l’argent qu’ils dépensent pour leur plaisir à tuer permet aux pays pauvres de financer la conservation de la faune. C’est un argument pour le moins fallacieux et curieux. Soyons objectif : D’une part, l’argent n’est pas toujours destiné à un programme de conservation. Par ailleurs, la chasse au trophée altère sérieusement le développement et l’avenir des espèces sauvages: l’objectif du chasseur sera le lion avec la plus grande crinière, l’antilope aux plus grandes cornes et le phacochère aux défenses les plus majestueuses. En d’autres termes, les victimes de cette pratique barbare sont des mâles dans leur prime jeunesse – ceux qui ont les gènes destinés à perpétuer leur lignée magnifique. On ne saura jamais quel rôle les lionceaux de Cecil auraient pu jouer – il a été tué et sa mort les conduira à leur perte.
Pendant des années, je me suis interrogée sur le profil psychologique de ces chasseurs « amateurs » et « chasseurs de trophées ». Comment Sabrina Corgatelli peut-elle se sentir « heureuse » en contemplant avec fierté les têtes de ses victimes innocentes, les trophées morbides qu’elle ramènera chez elle ? On est loin des émotions des peuples natifs d’Amérique, par exemple, qui rendent grâce et hommage à l’animal tué pour la nourriture qu’il procure, et qui prient pour son esprit. On est loin aussi de la fierté et du soulagement que les jeunes Maasaïs ressentent après avoir tué un lion pour prouver leur virilité, armés seulement d’une lance. Ou encore du sentiment des villageois qui tuent un lion lorsque celui-ci approche un village, pour attaquer une chèvre ou une vache, ou qui détruit les cultures avant la récolte.
On est loin de cela.
A chaque fois qu’un animal sauvage est tué, c’est une part de nous même que nous tuons
J’ai beau essayé, je n’arrive pas à comprendre ces personnes qui paient des milliers de dollars pour aller tuer de beaux animaux, simplement pour se vanter et montrer leurs pseudo prouesses ou courage. Et surtout dans la mesure où, le plus souvent, ça n’implique pas de courage du tout, la proie étant tuée à distance avec un fusil puissant. Comment peut-on, si on a un minimum de compassion, être fier de tuer ces créatures magnifiques ? Les lions, les léopards, les antilopes, les girafes et toutes les autres espèces chassées pour leurs trophées sont de belles créatures, nous sommes bien d’accord – mais seulement lorsqu’elles sont en vie ! Mortes, elles ne sont plus que les tristes victimes d’un désir sadique à vouloir s’attirer les louanges des amis aux dépens de créatures innocentes. Et quand ces gens prétendent respecter leurs victimes et ressentir du bonheur au moment du massacre, à mon sens ce ne peut être que le bonheur d’un esprit malade.
A chaque fois qu’un animal est tué, de nombreuses questions éthiques sont soulevées, mais nous ne les affrontons que rarement. Par exemple, est-ce « pire » de tuer un sanglier pour sa viande que de tuer un porc enfermé dans une usine ? La vie d’une dinde sauvage importe-t-elle plus que la vie d’une dinde domestique ? Celui qui accorde une licence au chasseur, ou celui qui autorise cette licence, ou encore celui qui écrit la loi qui l’autorise, est-il aussi coupable que celui qui tire la gâchette (ou tire à l’arc) ? Ces questions, parmi tant d’autres, sont rarement posées. Et quand elles le sont, il semble souvent impossible de leur trouver une réponse.
Mais, quoi qu’il en soit, il est difficile de défendre la chasse au trophée. La mobilisation internationale, la colère, la haine qui se sont exprimées après la mort de Cecil montrent bien que pour le public il faut en finir avec cette histoire du grand Chasseur Blanc.
Les Etats doivent interdire l’importation des trophées. L’Europe doit l’interdire. La France doit s’engager et montrer l’exemple.
De nombreuses compagnies aériennes majeures refusent désormais de transporter les trophées. C’est une excellente nouvelle. Cécil est devenu, bien malgré lui, un martyr pour une cause.
Jane Goodall, Ph.D., DBE et Fondatrice de l’Institut Jane Goodall
Messager pour la paix des Nations-Unies
Traduction de l’anglais par Olivier Van den bossche