J’ai toujours soutenu qu’il existait des raisons d’espérer, mais à une condition. Et cette condition, c’est que nous fassions front tous ensemble pour commencer à réparer les dégâts que les humains ont causés. Nous n’avons que peu de temps pour changer nos manières d’agir destructrices, et cela rend l’espoir d’autant plus difficile.
L’un des plus grands obstacles qui se dressent sur le chemin du changement, c’est l’argent. L’ONU prédit que la population mondiale passera de 7,8 milliards d’individus aujourd’hui à 9,7 milliards d’ici 2050. Notre planète n’arrivera pas à tenir ce rythme et la moitié des dégâts sont provoqués par les 10% les plus riches. Pensez à tous ceux qui à la faveur du confinement ces six derniers mois ont pu pour la première fois respirer un air sain, ou voir des étoiles dans le ciel plutôt qu’un brouillard de pollution. Si nous revenons à nos modes de vie d’avant la pandémie, nous condamnons les générations futures. C’est un signal d’alarme.
Mon espoir est que nous nous unissions pour créer une économie verte qui réduise la probabilité d’une autre pandémie. La Covid-19 est un résultat direct de notre manque de respect pour l’environnement et les animaux. Les zoonoses (maladies transmises par les animaux) sont devenues de plus en plus fréquentes, et ce n’est pas simplement le fait des marchés d’animaux sauvages et de viande de brousse en Afrique, mais également aux élevages intensifs européens et américains.
Une économie verte nécessaire
L’Occident a développé une culture matérialiste, et malheureusement, d’autres parties du monde qui vivaient jusqu’alors différemment cherchent à vivre le rêve américain, qui est à présent devenu un cauchemar. Nous devons créer de nouveaux critères du succès qui ne soient pas liés à l’accumulation d’argent, de biens ou de pouvoir. Et si nous voyions le succès comme la capacité à avoir assez d’argent pour permettre à sa famille de vivre, assez de temps pour profiter de la beauté qui est encore là ? Des études montrent que la proximité à la nature est bénéfique pour les gens et que les espaces verts dans les villes sont source des bienfaits mentaux et physiques. Il nous faut préserver ce qu’il reste et restaurer ce qui n’est plus.
Quand je suis venue en Tanzanie pour la première fois, en 1960, ce qui constitue désormais les terres du Parc National de Gombe était une partie de la forêt équatoriale qui s’étendait sur tout le territoire africain. En 1990, ce n’était plus qu’un îlot de nature. J’étais venue pour y étudier les chimpanzés, mais je me suis rapidement rendu compte que les chimpanzés étaient en train de disparaître, et qu’il était nécessaire non seulement de les étudier, mais de les protéger. Afin de les conserver, il faut aider ceux qui vivent à proximité des habitats des chimpanzés à vivre sans endommager l’environnement des primates. En 1994, par l’entremise du Jane Goodall Institute, j’ai lancé un programme de conservation et de développement basé sur les locaux intitulé TACARE (Tanganyika Catchment Reforestation and Education) afin d’aider les citoyens à comprendre que protéger l’environnement ne bénéficie pas qu’aux animaux sauvages, mais que c’était bon pour leur avenir.
On doit donner aux gens la force d’instiller le changement. Muhammad Yunus [économiste et lauréat du Prix Nobel] a lancé la banque Grameen parce qu’aucune banque ne voulait faire des microcrédits qui auraient aidé les pauvres à sortir de la pauvreté. Je ne suis pas économiste et je ne prétends pas l’être, mais ce que je sais, c’est que pour attirer un nombre suffisant de personnes vers un mode de vie plus écologique, il faut leur proposer des emplois verts, dans des domaines comme les énergies renouvelables. Au cours de ma carrière, j’ai été encouragée par le nombre croissant de personnes qui se sont mises à comprendre et à réagir à la crise climatique. Pourquoi n’en faisons-nous pas davantage ? Souvent, cela tient au découragement, certains se disent que ce qu’ils font ne change rien au tableau. Mais c’est faux.
Chacun d’entre nous a un impact sur terre chaque jour, et nous avons le choix du type d’empreinte que nous laissons. Si un nombre suffisant de personnes adoptent des décisions éthiques, si nous pouvons faire baisser la pauvreté, si nous parvenons à réduire le caractère irresponsable de nos modes de vie, si nous réussissons à limiter la richesse obscène de certains individus – qui a besoin de trois ou quatre maisons ? – alors, l’espoir existe. Servez-vous de tout votre pouvoir de consommateur. À chaque achat demandez-vous si celui-ci est issu d’une maltraitance animale, si son faible coût est lié à une forme d’esclavagisme et si les matières premières ou la fabrication sont particulièrement nocives pour l’environnement. Si la réponse est oui, n’achetez pas !
Tout est interconnecté
Dès mes débuts dans la conservation, je me suis associée avec le biologiste de terrain George Schaller. Les gens nous disaient souvent qu’il fallait que l’on se spécialise, que ce soit en agriculture, en santé ou en oncologie, qu’il était impossible de s’intéresser à tout. George et moi voyions les choses d’un autre œil. Tout est interconnecté. Si on lance des programmes d’éducation à destination des filles, il faut également avoir des dispensaires de santé au cas où elles tombent malades. La collaboration est impérative. Il faut que les esprits s’allient pour améliorer le monde, sinon nous perdrons.
Certains disent : « on est au beau milieu de la sixième extinction de masse, qu’est-ce que sa change si quelques animaux et quelques végétaux disparaissent ? » Comme je l’ai appris dans la forêt primaire, on peut avoir l’impression que la disparition d’une petite espèce n’est pas une grande perte, mais elle constitue peut-être la nourriture primordiale d’une autre espèce. On a ensuite un effet boule de neige qui peut faire s’effondrer un écosystème. On essaie de se mettre à part, dans une bulle sécurisante, mais qu’on le veuille ou non, les humains font partie du règne naturel, et ils en dépendent.
Dans l’objectif de percer cette bulle, j’ai lancé en 1991 le programme Roots & Shoots, afin aider les jeunes à impulser des changements positifs envers les hommes, les animaux et l’environnement. On fournissait aux enseignants des ressources et des activités gratuites. Les élèves de collège que nous avons eu ont ensuite accompli de grandes choses. Les ministres de l’Environnement de la République Démocratique du Congo et de la Tanzanie sont passés par nos rangs. On commence à présent à travailler avec des enfants dès la maternelle et notre réseau s’étend sur près de 100 pays. Nous voulons aider à créer un vivier de jeunes formés et conscients pour qu’ils fassent advenir un monde meilleur, un avenir plus brillant, une route à suivre.
La grande différence entre les chimpanzés et nous, c’est ce développement explosif de l’intellect. J’avais sept ans lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté et il n’y avait pas d’ordinateurs dans nos foyers. Très peu de gens avaient la télévision. Et maintenant, nous communiquons par un canal digital, c’est incroyable, n’est-ce pas ?
Alors, comment est-il possible que nous – les êtres les plus intellectuels à jamais avoir vu le jour – soyons en train de détruire notre seule planète ? Il existe certainement une déconnexion entre ce cerveau si intelligent et notre cœur, notre capacité à éprouver de l’amour et de la compassion. Nous avons une immense opportunité devant nous, mais nous n’atteindrons notre potentiel humain que lorsque le cerveau et le cœur fonctionneront en harmonie.
Propos recueillis par Liam Freeman
Source : Vogue.fr