La cérémonie officielle à Matignon
Le premier ministre Dominique de Villepin décerne, au nom du président de la république M. Jacques Chirac, les insignes d’officier de la légion d’honneur au Dr. Jane Godall, lors d’une cérémonie officielle à Matignon.
Cette distinction est une reconnaissance de son travail précurseur et exceptionnel sur les grands singes, de son action déterminante en faveur du respect de la biodiversité et des populations, et de ses efforts pour éduquer et mobiliser le plus grand nombre afin de lutter contre les graves menaces qui pèsent actuellement sur l’équilibre naturel de la planète. Son destin et ses relations étroites avec les plus grands scientifiques et dignitaires de ce monde en font une figure emblématique sur les questions environnementales.
Consécration du Dr. Jane Goodall à Paris
La France a enfin fait honneur à son œuvre et sa vie exceptionnelles. La République d’abord lors de la cérémonie de remise de la Légion d’Honneur le 17 janvier par Monsieur le Premier Ministre. L’UNESCO ensuite en décernant au Dr Jane Goodall la Médaille d’or. La presse française a largement couvert le message du Dr Jane Goodall.
Par ailleurs, les deux soirées publiques qui ont été consacrées au Dr Jane Goodall au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris et à l’Espace Electra ont rencontré un très vif succès.
C’est à l’ensemble de son action au service de l’homme et de la nature que la France a rendu hommage.
Son message lors de son séjour à Paris a déclenché une réelle prise de conscience de l’opinion publique. Nos premiers objectifs sont à présent réalisés.
Nous vous remercions pour vos très nombreux messages de reconnaissances, d’encouragements et de soutiens.
Nous remercions particulièrement les adhérents et les bénévoles qui ont été activement impliqués dans l’organisation des événements.
Discours du premier ministre lors de la remise des insignes d’officier de la légion d’honneur à Jane Goodall
Monseigneur, Madame la ministre, chère docteur Goodall, mesdames et messieurs, chers amis.
Nous sommes réunis aujourd’hui autour d’une personnalité exceptionnelle, une de ces personnalités qui trace de nouvelles pistes pour l’humanité. Parce que le docteur J. Goodall est un être de passion, parce qu’elle a changé notre regard sur les animaux et sur le monde, parce qu’elle incarne des valeurs d’engagement, de courage, elle est pour nous tous un modèle.
Avant de commencer cette réception j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec le docteur Goodall, et elle m’énonçait la devise qui est la sienne, et de l’action qu’elle mène pour le monde : « pour changer le monde, chacun de nous compte, chacun de nous a un rôle à jouer », et elle m’a remis cette plaquette, où l’on voit un chimpanzé tenant son petit et je ne peux pas m’empêcher de faire le rapprochement avec les vœux que j’ai fait pour nos compatriotes il y a quelques jours : de l’engagement, de l’humour, et de la tendresse.
Je crois que J. Goodall nous apporte ces vertus rares et précieuses, que sont l’engagement, l’humour et la tendresse. Un vrai combat pour défendre un humanisme dont notre planète a tellement besoin. Parler de vous, chère docteur Goodall, c’est d’abord évoquer la contribution majeure que vous avez apportée à la science.
Tout commence chez vous par une passion, l’observation du monde animal. Beaucoup de vos amis, ici présents, ont entendu parlé de votre chimpanzé en peluche – il vous a quitté pour quelques rares instants, mister H, mister H junior, et J. Goodall me disait « c’est monsieur sourire » ; partout où elle va, elle l’emmène, et il suscite un sourire. C’est dire qu’il ouvre les portes. Ils savent aussi, tous ceux qui ont entendu parler de ce petit chimpanzé, que ce sont les aventures de Tarzan et du docteur Dolittle, qui vous ont procuré vos premières joies littéraires.
Vous racontez souvent cette fameuse journée pendant laquelle, fascinée par le spectacle d’une poule en train de pondre un œuf, vous aviez disparue, des heures durant, tout à la joie de la découverte du monde animal ; vous aviez alors laissé vos parents se faire un sang d’encre au point d’en avertir la police. Pourtant, il vous aura fallu surmonter bien des obstacles avant de pouvoir réaliser votre rêve. Il aura également fallu le hasard d’une rencontre, celle de votre ami, Clo Mange pour que vous puissiez enfin vous embarquer sur un cargo à destination de l’Afrique, ce continent si cher à votre cœur.
Dès vos débuts vous ferez preuve de l’opiniâtreté qui caractérise les grands découvreurs. Alors que vous n’aviez pas eu la chance d’aller à l’université, vous avez su être patiente. Grâce à votre enthousiasme, à votre détermination, vous avez su convaincre le docteur S.B. Leakey, de vous faire confiance pour une mission d’étude déterminante. Ainsi à l’âge ou nombre de jeunes étudiants restent confortablement installés dans le cocon familial, vous entamiez déjà vos travaux d’observation des chimpanzés en Tanzanie.
Vous avez même réussi à entraîner votre mère, V. Goodall, dans vos aventures. Le temps venu vous avez eu le courage de commencer un doctorat à Cambridge, condition indispensable pour être prise au sérieux par le monde universitaire. Cette opiniâtreté vous a également été précieuse pour mener à bien vos recherches.
Lors de vos premières observations vous avez fait preuve d’une infinie patience pour approcher les chimpanzés, peu à peu leur faire accepter votre présence. Tout au long de ces premiers mois vous avez ainsi pu observer leurs comportements, leurs relations leurs émotions, et c’est en apercevant un chimpanzé en train de manipuler une simple brindille que vous avez pressentie qu’il y avait là quelque chose d’essentiel, d’important, là ou d’autres n’auraient rien relevé de particulier, vous avez démontré que les chimpanzés savaient fabriquer et utiliser des outils, en l’occurrence pour faciliter la capture des termites.
Cette capacité était alors considérée comme le seul apanage des hommes. Vous avez ainsi bouleversé les notions d’homme et d’animal. Grâce à vous, la communauté scientifique a considéré le monde animal sous un jour nouveau. Tous vos travaux ont mis en lumière la proximité entre les hommes et les grands singes. Comme nous, ils sont capables de tisser des liens affectifs forts et profonds, notamment au sein d’une même famille ; comme nous, ils peuvent aussi faire preuve d’altruisme, de générosité même.
Quel exemple plus frappant que l’adoption de l’orphelin Mel par un jeune adulte dénommé Spindle. Comme nous, ils éprouvent parfois des passions violentes. C’est ainsi que vous avez pu décrire une véritable « guerre de quatre ans » à Gombe, qui ne s’est achevée qu’avec l’extermination d’un des deux clans rivaux. En cela vous avez tracé une voie ; vous avez ouvert de nouvelles perspectives à la recherche, avec D. Fossey, et B. Galdikas les deux autres « anges » du professeur Leakey, vous avez développé une science fondée sur le respect et sur la patience.
Vous avez donné un nouvel élan, une nouvelle sensibilité même à l’éthologie, et si aujourd’hui la communauté scientifique s’intéresse d’aussi près aux capacités mentales des animaux, si on peut employer des termes, comme « esprit » ou « émotion » à leur sujet, c’est en grande partie grâce à vous.
Votre expérience est également un modèle pour tous ceux qui s’engagent dans la défense de l’environnement. Vous avez très vite perçu les menaces que l’homme faisait peser sur les grands singes. Dès 1977, vous avez crée l’Institut Jane Goodall, pour travailler à leur connaissance, mais aussi à leur protection. Il est aujourd’hui présent dans vingt pays et quatre continents, avec notamment de nombreux sanctuaires de chimpanzés orphelins. En France vous avez trouvé un accueil enthousiaste auprès de la communauté scientifique comme des grands défenseurs de l’environnement. Les personnalités de votre comité d’honneur, le professeur Y. Coppens, N. Hulot, et A. Bougrain-Dubourg en témoignent, nous connaissons tous la force de leur engagement.
Ce combat est plus que jamais d’actualité, aujourd’hui alors que les populations de chimpanzés, de gorilles, d’orangs-outangs, et de bonobos, sont menacées d’extinction, il est urgent d’agir. D’abord pour préserver notre lien avec les espèces qui nous sont les plus proches, et dont la compréhension participe de celle de l’humanité elle-même. Surtout parce que la biodiversité est un enjeu essentiel. À travers les grands singes, c’est bien la protection des écosystèmes, c’est la préservation de l’extraordinaire richesse du vivant, c’est l’avenir même de l’espèce humaine, qui sont en jeu.
C’est pourquoi la communauté internationale s’est engagée à mettre un terme à l’érosion de la biodiversité d’ici 2010. La France entend prendre toutes ses responsabilités dans ce combat. Nous intensifions la lutte contre le trafic d’espèces protégées ; très récemment encore, le cas d’un jeune bonobo importé illégalement à Roissy a mis en évidence les méfaits de ce trafic qui constitue un véritable fléau. Nous voulons également renforcer l’action de la France au plan international, qu’il s’agisse du partenariat GRASP, projet pour la survie des grands singes, et du partenariat pour les forêts du bassin du Congo.
Nous devons travailler avec tous les pays concernés pour mieux protéger les populations de grands singes. Enfin, le président de la République a proposé la création d’un réseau d’experts internationaux sur la biodiversité. La France défendra cette proposition lors de la prochaine conférence des parties de la convention sur la diversité biologique, en mars 2006 au Brésil.
Vous faites partie, chère J. Goodall de ces lanceurs d’alerte, de ces vigies de la planète, qui ont su mobiliser l’opinion en faveur de l’environnement. Vous avez très vite compris que la protection des animaux passe aussi par l’éducation des hommes. Cela veut dire d’abord sensibiliser les populations locales. Vous avez toujours eu à cœur de les associer à votre combat contre la déforestation et le braconnage.
Cela veut dire ensuite éclairer les citoyens sur les menaces qui pèsent sur leur environnement et éduquer les plus jeunes afin d’en faire des acteurs conscients de leurs comportements quotidiens. Cela veut dire enfin influencer les politiques publiques dans le sens de plus de responsabilité. Dans chacun de ces domaines, vous avez été parmi les grands précurseurs. Vous avez commencé par créer des groupes d’élèves dans les écoles tanzaniennes pour les sensibiliser à la protection de l’environnement et des animaux. Aujourd’hui, ce sont près de 7.500 groupes dans 90 pays qui ont été mis en place grâce à votre enthousiasme – et je l’espère très vite, en France. Vos livres pour enfants, connus à travers le monde entier, participent également à cet éveil des consciences.
Inlassablement, vous parcourez le monde pour alerter, pour sensibiliser, pour convaincre. La France, qui a généralisé depuis un an et demi l’éducation à l’environnement dans l’enseignement primaire et secondaire, vous est reconnaissante d’avoir ainsi tracé le chemin. À votre passion pour la protection des animaux s’ajoute une sensibilité aiguë aux grands problèmes du monde, au problème de l’Afrique et du développement, au problème de la connaissance et du respect de l’autre. Nommée en 2002 messager de la paix par le secrétaire général des Nations Unies, K. Annan, vous sillonnez la planète pour apporter un message d’équilibre, de stabilité et d’harmonie.
Votre autorité morale, reconnue de tous, permet ainsi de semer des graines d’espoir partout dans le monde. Cher Docteur Goodall, votre message, sans cesse renouvelé, a permis de changer les mentalités. Pour cela, nous vous devons de profonds remerciements. Ce soit, nos pensées vont aussi à une autre militante de l’environnement, J. Root, assassinée la semaine dernière au Kenya. Elle avait fait preuve d’un engagement exemplaire pour la protection des éléphants et du lac Naivasha. Mesdames et messieurs, chers amis, le docteur J. Goodall a marqué de son empreinte notre vision du monde. Par son charisme, par sa générosité, elle a contribué de manière décisive à éclairer des enjeux de civilisation fondamentaux.
Elle fait partie de ces rares individus qui font évoluer la communauté internationale tout entière. Aujourd’hui, c’est à l’ensemble de son action au service de l’homme et de la nature que nous rendons hommage. Madame J. Goodall, c’est pour moi un très grand honneur de vous remettre les insignes d’officier de la Légion d’honneur.
Dominique de Villepin